Il m’arrive parfois de fureter sur le web, et à certaines occasions, de tomber sur de véritables bijoux. L’an passé, j’ai fait la découverte d’un microfilm montrant un document d’une vingtaine de pages, qui exposait les avantages indéniables d’un grand projet à réaliser. Nous sommes alors… en 1887! Comme quoi il n’y a pas que de nos jours que certains grands projets ne se réalisent pas.
Le document s’intitule “Le chemin de fer Maskinongé et Nipissing – Le chemin le plus important du Dominion après le Pacifique Canadien et le Grand Tronc”. Après 5 pages de tests et d’explications (mise en microfilm oblige), on arrive à la page titre puis, après une carte montrant approximativement le tracé du chemin de fer à construire, on arrive au texte proprement dit. On y mentionne l’incorporation, adoptée par le Parlement fédéral du Canada le 2 juin 1886, de Thomas W. Ferry, James J. White, E. H. Talbott, John H. Verrall, et Laurent Grenier, dans le but de former une compagnie qui construirait le chemin de fer Maskinongé et Nipissing. D’une longueur d’environ 450 milles (plus ou moins 725 kilomètres), il devait débuter d’un point situé entre Louiseville et Maskinongé, traverser la chaîne des Laurentides jusqu’à Saint-Michel-des-Saints, puis de là, presque en ligne droite, continuer vers l’ouest jusqu’aux rives du lac Nipissing, en Ontario, en passant par le lac Désert, situé à une soixantaine de kilomètres à l’ouest de Mont-Laurier.
Après avoir fait mention de la “praticabilité” du chemin de fer, le document indique textuellement que “ce chemin ouvrira une région d’au moins 75 milles (120 kilomètres) de large sur presque toute sa longueur”; on explique ensuite qu’il existe des terres exploitables en agriculture sur une cinquantaine de milles (80 kilomètres) au sud du tracé, et sur 25 à 30 milles (40 à 50 kilomètres) au nord de celui-ci, citant des établissements autour du lac Témiscamingue comme étant à l’extrême nord de ce territoire. Viennent par la suite des extraits de témoignages de personnalités connues de l’époque, allant du curé Mondor, de Saint-Michel-des-Saints, au curé Labelle, de Saint-Jérôme, en passant par Lindsay Russell, ancien arpenteur général du gouvernement fédéral, un certain M. Bouchette, dont on cite un extrait d’un rapport des terres de la Couronne datant de 1859, un révérend père Paradis, écrivant à Mgr. Duhamel, archevêque d’Ottawa, Sir Charles Tupper, les députés Joseph Tassé et Alonzo Wright, ainsi qu’un professeur Macoun, tous ceux-ci faisant état de diverses constatations sur le territoire, dont le climat, les possibilités de cultures, etc.
Par la suite, le document évoque différents thèmes, comme le fait que le Maskinongé et Nipissing puisse devenir un chemin de colonisation, pouvant contenir plus de 2 millions de colons, rien de moins! On revient ensuite sur le climat, le potentiel forestier et minier, les pouvoirs d’eau, forces motrices de cette époque, ainsi que la beauté du paysage. On mentionne ensuite que le terminal de Maskinongé serait temporaire, pour rentabiliser l’opération du chemin de fer dès la construction de ses premiers milles, son terminal permanent devant éventuellement s’établir à Québec, question de profiter des installations portuaires de la ville pour le commerce international. On explique également pourquoi il faut commencer le projet à Maskinongé, au lieu de Nipissing (les plus proches sources de profit potentiel sont les forêts du comté de Maskinongé, dit-on), les possibilités d’interconnexions avec d’autres chemins de fer existants ou en développement, mais aussi que le Maskinongé et Nipissing pourrait devenir une ligne militaire d’une importance capitale, compte tenu de la vulnérabilité de la vallée du Saint-Laurent, et de la nécessité d’établir un “back country” derrière les Laurentides, dans le territoire traversé par la ligne de chemin de fer.
Viennent ensuite l’évocation d’un gain monétaire pour le pays, suite à l’installation de nouveaux colons, et aux investissements successifs que devraient forcément faire les instigateurs du projet, question de se maintenir, face à la concurrence, ainsi que l’état de l’avancement du projet, que je cite ici:
“10 milles du chemin sont localisés définitivement, une exploration complète est achevée sur 14 autres milles, et six milles de plus ont été explorés préliminairement. Ce travail à résout, d’une manière tout-à-fait satisfaisante, le problème de savoir si la chaîne des Laurentides pourrait être franchie sans trop de grandes difficultés. Maintenant, les montagnes sont dépassées, et la Cie. est certaine d’arriver, sans encombre, au bout du tracé. Il y a aussi un vote du gouvernement local de Québec, accordant 4 mille acres de terre par mille, pour un chemin qui partirait du bas du comté de Maskinongé, et passerait par Matawin (St. Michel-des-Saints.)”
Finalement arrive la conclusion, dans laquelle on parle de la nécessité de construire cette ligne, qui allait non seulement couper 250 milles (400 kilomètres) sur le parcours du C. P. R. d’un océan à l’autre (c’est pourquoi on l’appelle souvent “la ligne courte”, dans le document), mais aussi permettre le développement du “coeur du pays”; le directeur d’Agriculture de la province de Québec de l’époque (probablement l’équivalent de ce qu’est aujourd’hui le sous-ministre de l’agriculture, des pêcheries et de l’alimentation), Ed. A. Bernard, voyait des établissements, le long de ce chemin, devenir de grands centres, et les terres, dont le gouvernement était encore propriétaire en presque totalité, acquérir une valeur certaine, particulièrement à cause du bois de commerce qui, à l’époque, offrait un très fort potentiel, mais était trop éloigné des moyens de transport du temps. Monsieur Bernard traite aussi des avantages pour le district des Trois-Rivières, comme on disait à l’époque, ainsi que pour le Canada, et pour tout l’empire britannique, avant de conclure que tout le monde politique, des électeurs jusqu’aux élus, devraient porter ce projet à un aboutissement rapide. Le document est complété par un parallèle entre les projets ferroviaires déjà proposés, ou en cours de réalisation, au Québec, et le Maskinongé et Nipissing, par une lettre de trois pages ne portant, pour seule signature, que le mot “Maskinongé”, un rapport de l’ingénieur-en-chef W. M. Maingy à James J. White, directeur-gérant du M. & N. R. M. (c’est écrit comme ça), une double table de distances, et l’index de la brochure.
Vous êtes curieux de voir ce document? C’est par ici! À noter que l’original est à la Bibliothèque des archives publiques du Canada.
Sur le terrain, par contre, il n’y a rien! Zéro pis une barre! J’ai l’impression que l’entreprise ne s’est jamais rendue plus loin que la Chambre des Communes! Tout le monde disait oui, mais il y a eu des élections (en 1887, sauf qu’elles ont porté la même équipe, celle des Conservateurs de John A. Macdonald, au pouvoir), probablement des changements de priorités, et tout le projet est tombé à l’eau. Et sur le web, je ne trouve rien d’autre que ce microfilm. Amazon a bien quelque chose; une version papier reproduite à partir de la même source! La question que je me pose est la suivante; Est-ce que la région de Maskinongé, et toute la région au nord de la chaîne des Laurentides, aurait connu un développement différent, avec la construction d’un tel chemin de fer? Je n’aurai probablement jamais la réponse.
Dans le temps, il y avait un chemin de fer, de la CN, qui partait de la région de Nipissing et allait jusqu’à Pembroke, encore en Ontario. Là, la voie se joignait à d’autres voies CN: une qui continuait vers l’est, vers Ottawa (en passant par le Pontiac), et une autre qui allait autrefois vers le sud (qui fut arrachée il y a très longtemps), ainsi qu’une liaison vers la voie CP qui suivait la rivière des Outaouais. Par contre, il y a une bonne vingtaine d’années, la voie ferrée (qui traversait le célèbre parc provincial Algonquin) fut enlevée. Le remblai existe encore, et on peut trouver des gigantesques clous ici et là, mais les rails sont partis. Or, je me demande si cette voie aurait été une partie des plans?
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Je ne crois pas, non! Le chemin projeté suivait une ligne presque droite entre les rives du lac Nipissing et la ville de Québec, question de permettre une économie de 250 milles, comparativement à la ligne du CP existante, dont une partie appartient aujourd’hui à CFQG. On la faisait partir de Maskinongé d’une part pour rentabiliser le projet, avec le « bois de commerce », comme on l’appelait dans le temps, et d’autre part pour obtenir une façon pas trop compliquée de traverser la chaîne des Laurentides. D’ailleurs, si tu vas sur Google Earth, et que tu traces une ligne droite entre la ville de Québec et les rives du lac Nipissing, ta ligne va croiser Saint-Michel-des-Saints, et passer près du lac Désert, à l’ouest de Mont-Laurier.
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