MTQ: Il faut garder les gens dans l’ignorance

Je l’ai déjà mentionné dans un billet, en passant, mais cette fois, je prends le temps d’en parler. Normalement, les différents ministères du gouvernement du Québec, dont le ministère des Transports (MTQ), offre divers outils, informatiques ou autres, permettant d’avoir accès à plein d’informations, comme par exemple l’emplacement des téléphones d’urgence, ou des repères kilométriques, sur le réseau routier de la belle province. Ces données sont accessibles via une carte interactive, qui nous permet de voir, entre autres, que le kilomètre 158, sur l’autoroute 40, est très long, comparativement aux autres. Ces données sont regroupées dans l’Atlas des Transports.

La carte interactive, en partenariat avec Données Québec, offre donc beaucoup de renseignements. Toutefois, certains de ces renseignements ne sont tout simplement plus accessibles. Je pense au principal outil pour évaluer le volume de circulation sur une route, à savoir le débit journalier moyen annuel (DJMA), qui était disponible autrefois via la carte interactive. Depuis plusieurs mois, une recherche de DJMA nous amène plutôt vers la copie d’une carte papier dont la plus récente, après vérification au moment d’écrire ces lignes, date de 2018, soit de 5 ans. Du temps de la carte interactive, les données étaient mises à jour à tous les deux ans, ce qui permettait de voir l’évolution du volume de circulation sur une certaine période. Maintenant, si l’on veut autre chose que les cartes papier de 2016 et de 2018, on doit écrire au ministère, via une adresse de courriel, et on nous répondra lorsqu’on le jugera à propos. Une baisse de services incroyable.

Bref, la question se pose; est-ce par simple paresse que la carte interactive de Données Québec, en ce qui a trait au DJMA, n’est plus accessible, ou bien parce que l’on veut tenir les gens intéressés au réseau routier, comme moi, dans l’ignorance? J’ai tendance à croire qu’au MTQ, c’est la deuxième option qui prime.

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A-35: Ça s’en vient

Il y a quelques temps déjà, je suis allé faire un tour au sud de Saint-Jean-sur-Richelieu, question de constater de visu l’avancement des travaux de l’autoroute de la Vallée-des-Forts (A-35), entre Saint-Sébastien et Saint-Armand. Bon, le chantier était encore majoritairement sous la neige, lors de mon passage, mais on peut voir que ça s’en vient, quand même. On peut même s’attendre à une ouverture à la circulation avant la fin de cette année. Ces images datent déjà d’un mois.

Une simple trace de motoneige nous permet de voir qu’il y a de l’asphalte sous la neige. En effet, l’échangeur de la route 133, à Saint-Sébastien, a été réalisé au complet en 2014, mais pour l’instant, seule la partie située au nord de celle-ci est ouverte à la circulation. L’autre partie, comprenant les ponts d’étagement, seront accessibles lors de l’ouverture de la prochaine section, soit celle qui conduira à Saint-Armand.

Voici la route 133, en direction sud, vue depuis le pont d’étagement de la chaussée nord de l’A-35. L’intersection est passablement achalandée car à peu près tout le trafic qui se dirige vers Saint-Jean-sur-Richelieu, depuis le sud et l’est de l’autoroute, y passe.

Bon, sur celle-ci, on voit surtout le pont d’étagement de la chaussée sud de l’A-35, mais on voit aussi, en arrière-plan, la route 133, en direction nord, vers le village de Saint-Sébastien, toujours du même point de vue.

Ici, on voit au loin l’autoroute de la Vallée-des-Forts, vers le nord, là où elle se termine actuellement.

Cette fois, l’A-35 vers le sud. Bon, avec la neige encore abondante, c’est difficile de voir la courbe vers le sud-est, mais les deux chaussées sont pratiquement complétées.

Cette fois, nous sommes devant la rivière aux Brochets, et l’on voit le chantier du pont qui traversera cette rivière. À voir la dimension des piliers, tout porte à croire qu’il s’agira d’un seul pont qui portera les quatre voies, deux par direction, de l’A-35. On regarde vers le sud-est, depuis la rue Archambault, à Pike River.

L’un des piliers du pont, vu d’un peu plus près, avec la passerelle temporaire, utilisée par les travailleurs du chantier.

Un pilier terminé, prêt à recevoir les 7 poutres qui soutiendront le tablier du pont, et la culée nord-ouest. Au loin, le pont d’étagement de la route 202.

Nous sommes sur la route 133, en direction nord, à Saint-Armand, plus précisément dans l’ancienne municipalité de Philipsburg. Un feu de circulation temporaire permet la fluidité de la circulation provenant du chemin Champlain, car sinon, les usagers de la route pourraient attendre longtemps; même si cela ne paraît pas sur la photo, il y a un flux de circulation passablement important, sur la route 133, et comme les chaussées sont séparées, cela pourrait être assez compliqué, surtout en hiver.

Quelques mètres plus au nord, on voit que le pilier central, et les culées, sont prêts à recevoir les poutres du pont d’étagement du chemin Champlain. C’est à cet échangeur que se rejoindront le chemin Champlain, la route 133, et l’autoroute de la Vallée-des-Forts.

Pour continuer vers le nord, sur la route 133, nous devons suivre les futures bretelles de sortie vers le chemin Champlain, et la route 133 actuelle. On voit aussi le chemin de transition temporaire pour la circulation en direction sud.

De retour à Pike River, depuis le pont d’étagement de la route 202, nous regardons vers le sud-est. Au loin, le chantier du pont de la rivière aux Brochets.

En zoomant un peu plus, on voit le chantier du pont de plus près. Les maisons, que l’on voit au loin, se seront pas déplacées; l’autoroute tournera vers le sud après le pont.

Toujours depuis le pont d’étagement de la route 202, on regarde cette fois vers le nord-ouest. La neige nous empêche de voir si l’asphalte est complétée sur ce tronçon. Au loin, la courbe qui orientera l’autoroute vers le nord, près de l’échangeur de la route 133, à Saint-Sébastien.

Selon Google Street View, l’asphalte a effectivement été appliquée, mais on peut clairement voir que de petits arbres ont été plantés le long de la clôture qui borde l’emprise de l’autoroute. Si la nature est clémente avec ces pousses, on obtiendra, peut-être, un semblant de mur végétal coupe-vent.

Selon le site du Ministère des transports du Québec (MTQ), l’autoroute de la Vallée-des-Forts (A-35) devrait être ouverte à la circulation à l’automne 2023. On voit sur les différentes photos que des panneaux de signalisation orange, destinés aux ouvriers du chantier, sont toujours sur place, et ce même si le site web du MTQ mentionne que les travaux sont terminés entre le pont de la rivière aux Brochets et l’échangeur de Saint-Sébastien. Cela donne quand même tout l’été aux ouvriers pour les retirer, et compléter la signalisation permanente, qui semble être absente.

Quant à la dernière section d’autoroute à compléter, soit sur environ 4,5 km, entre le chemin Champlain, à Saint-Armand, et la frontière de l’état du Vermont, le site web du MTQ dit qu’elle est “en planification”; c’est donc dire que même si ce projet figure sur la liste des projets soumis à la loi 66, sur l’avancement rapide de certains chantiers, les travaux ne commenceront pas de sitôt. Il faut mentionner, par contre, que cette section de l’actuelle route 133, qui sera transformée en autoroute, est déjà à accès quasi-limité, et comporte déjà deux voies par direction, séparées par un terre-plein. Le travail consistera probablement à construire un échangeur à la hauteur de l’avenue Montgomery, et à rattacher les dernières rues du secteur à une route de desserte, qui pourrait être le prolongement du chemin South. Il restera également à construire l’échangeur de Saint-Alexandre (sortie 26 ou 27); le plan d’investissement 2023-2025 montre que les deux prochaines années seront consacrées à la planification du projet.

Gardons donc espoir que ce chantier se termine bien, permettant ainsi de combler un autre “chaînon manquant” du réseau routier québécois.

Réseau routier: Avez-vous remarqué que le “chaînon manquant” est toujours au Québec?

Souvent, quand on veut planifier un voyage, que ce soit pour le travail ou pour le plaisir, sur le réseau routier nord-américain, il arrive souvent que ce que l’on pourrait qualifier de “chaînon manquant”, c’est à dire une courte section d’un itinéraire autoroutier, par exemple, qui n’est qu’une “super-2”, ou pire encore, une route de campagne, ou bien une belle route asphaltée qui comporte quelques sections en gravier, ou en terre battue, ces chaînons manquants, donc, sont situés au Québec.

Le ministère des transports du Québec (MTQ) est en train de remédier à quelques situations, mais il demeure clair que plusieurs de ces améliorations mériteraient d’être complétées. Voici quelques exemples de routes à améliorer, ou carrément à construire, pour rendre le réseau routier global plus homogène.

Quand il est question de traverser le Canada, on parle souvent d’une autoroute – digne d’une Interstate américaine – qui relie Toronto et Halifax. Évidemment, elle n’est pas complète; il en manque une vingtaine de kilomètres, environ, situés au Québec. Je parle de l’autoroute 85, qui est d’ailleurs en chantier, et dont les travaux, d’abord prévus pour se compléter en 2025, s’étaleront jusqu’aux portes de 2027. En effet, le panneau annonciateur des travaux de la section 7 indique que ceux-ci auront lieu de septembre 2022 à décembre 2026. En plus de la section 7, les travaux se poursuivent sur les sections 4 et 5, quoiqu’au ralenti d’ici la fin de l’hiver. Les sections 1, 2, 3 et 6 sont déjà complétées, et malgré quelques ratés ici et là, sont très agréables à utiliser.

L’autre grand chantier sur lequel on comble un chaînon manquant est celui de l’autoroute 35, qui complètera le lien autoroutier Montréal – Boston. Il manquait quelque 35 kilomètres, entre Saint-Jean-sur-Richelieu et la frontière du Vermont, et de ceux-ci, une vingtaine ont été complétés en 2014, soit jusqu’à la route 133, à Saint-Sébastien. Les travaux vont bon train sur la section située entre Saint Sébastien et Saint-Armand – autrefois Philipsburg, où la future autoroute 35 se raccordera à l’actuelle route 133; le point de résistance est le pont de la rivière aux Brochets, mais ça avance. Une dernière section, soit la route 133 elle-même, qui sera transformée en autoroute, sur environ 4,5 kilomètres, entre l’échangeur du chemin Champlain et la frontière, est en phase de planification. S’il est inscrit sur la liste de projets inclus dans la loi 66 (Loi d’accélération de certains projets d’infrastructures), adoptée suite à la pandémie de COVID-19, il n’est pas dit qu’il se réalisera très rapidement; cette section de route est déjà à 4 voies divisées sur deux chaussées distinctes, et il ne restera donc qu’à ajouter des ponts d’étagement ici et là, en plus de l’échangeur de l’avenue Montgomery et de quelques autres ajustements. L’autoroute 35 sera vraiment complétée lorsque l’on construira l’échangeur de Saint-Alexandre, qui sera probablement la sortie 26 ou 27, mais pour ce faire, il faudra construire une section de la route 227 dans l’axe de la montée des Soixante, et raccorder le tout à la montée de la Station, en plus de quelques améliorations, dont l’intersection de celle-ci au rang des Dussault, qui constitue l’actuelle route 227, le tout dans le but d’assurer une certaine fluidité à la circulation.

Un autre chaînon manquant consiste en une amélioration de route, et j’ai nommé la route 389, qui relie Baie-Comeau à Labrador City, dans la province voisine de Terre-Neuve-et-Labrador. Le problème de cette route, c’est que certaines sections ont été construites sans véritables plans, et ne sont qu’une piste en terre battue; il arrive souvent que ces sections soient carrément fermées, au printemps, lors du dégel, question d’empêcher les camions lourds de s’embourber, et de détruire ce semblant de route. Encore là, le MTQ a entrepris des travaux il y a plusieurs années, sur 5 sections différentes de la route, et plusieurs sont complétés, mais le gros morceau s’en vient, à savoir la reconstruction de la route entre les kilomètres 478 et 566, soit entre Fire Lake et Fermont. Sur cette distance, seuls les kilomètres 496 à 507 seront rénovés; tout le reste sera du neuf. On prévoit retrancher près de 19 kilomètres avec le nouveau tracé, dont le déboisement est complété. Les travaux de la troisième partie (km 507 à 566) ont été attribués à la compagnie Dexter Québec, et un appel d’offres pour la surveillance des travaux de cette partie est prévu ce printemps.

Ce dernier projet permettra enfin de relier Terre-Neuve-et-Labrador au reste de l’Amérique du Nord avec une route décente, compte tenu que la Trans-Labrador Highway (NL-500 et 510) est maintenant pavée sur toute sa longueur. Mais il y a un autre projet, tout aussi gigantesque, qui pourrait être complété, et qui sauvera non pas 19 kilomètres, mais presque trois jours de voyage; la construction de la route 138 entre Kegaska et Vieux-Fort, en Basse-Côte-Nord. Il faudra faire une route de presque 400 kilomètres là où il n’y a absolument rien, à part quelques villages épars ici et là. Bien sûr, pour compléter le tout, il faudra aussi construire deux liens fixes majeurs, soit entre l’île de Terre-Neuve et le Labrador, et entre les deux rives de la rivière Saguenay, deux liens actuellement assurés par des traversiers, et pour lesquels des études ont été effectuées depuis des années. Le MTQ a bien un projet pour compléter la route 138, mais c’est ce genre de projet que je ne verrai pas de mon vivant; on réalise quelques kilomètres, ici et là, mais il n’y a pas de quoi téléphoner à sa mère. Ce projet est important non seulement pour les moins de 10,000 québécois et autochtones qui vivent le long du littoral du Saint-Laurent, mais aussi des quelque 480,000 habitants de l’île de Terre-Neuve qui pourraient bénéficier d’un premier lien fixe avec le reste de l’Amérique du Nord.

Évidemment, il y a d’autres projets à considérer, mais beaucoup de ces chaînons manquants, qui restent à construire, sont juste à nos portes; on parle de divers ponts – ou tunnels – et voies rapides dans diverses villes d’importance, au Québec. Dans le grand Montréal, ils sont nombreux, un nouveau pont à l’est de l’île de Montréal, demandé dans le rapport Nicolet, publié il y a 20 ans, rapport qui ramasse de la poussière dans les sous-sols du Parlement de Québec, et le prolongement de l’A-640 dans l’ouest, vers l’A-40, question de boucler la boucle d’une première véritable autoroute périphérique autour du grand Montréal. Avec les travaux du tunnel Lafontaine, ce pont dans l’est, s’il avait été construit, démontrerait toute son utilité. Et l’on vivra un scénario semblable dans l’ouest, lorsque les travaux du nouveau pont de l’Île-aux-Tourtes, ou peu importe le nom qu’on lui donnera, commenceront; une 640 complétée jusqu’à Hudson, ou dans les environs, donnera un bon coup de main. La réfection de la Métropolitaine (A-40), constamment repoussée, devra bien être mise en chantier un jour ou l’autre, avant qu’elle ne tombe en ruines; ce jour-là, une 440 reliée à la 40 à ses deux extrémités pourrait s’avérer fort pratique, de même qu’une autoroute Ville-Marie (QC-136, ex A-720) raccordée à l’A-25, créant ainsi deux voies de détour qui donneraient un peu d’air à la circulation dans le secteur.

Malgré les haut-cris de nos bienveillants environnementalistes, tout ne peut pas passer par le métro, ou par le REM, qui retarde son ouverture de six mois en six mois. Les voitures électriques, qui sont l’avenir du transport, selon certains, devront aussi rouler quelque part. Par ailleurs, comme la téléportation des marchandises n’est pas pour demain, ni pour après-demain, les camions devront aussi circuler. De là le besoin d’un réseau routier de qualité, qui dessert tous les coins du Québec.

Tunnel L.-H.-Lafontaine: Retour sur “Le goulot de la bouteille”

Ceux et celles qui me suivent le savent; j’aime bien prendre un texte d’opinion, et y répondre coup sur coup, à travers les paragraphes de celui-ci. J’ai choisi, cette fois, le texte d’Aurélie Lanctôt, chroniqueuse du journal Le Devoir, texte intitulé “Le goulot de la bouteille”, et qui parle de l’affaire des travaux majeurs du tunnel L.-H.-Lafontaine, et de la proposition du président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), Michel Leblanc. Comme je le fais normalement, je mettrai le texte intégral de madame Lanctôt en couleur, disons en bleu, cette fois-ci, et j’y répondrai avec le noir habituel. Allons-y.

Le goulot de la bouteille

Aurélie Lanctôt, Le Devoir, 28 octobre 2022.

Le message a été accueilli avec un sourire en coin par celles et ceux qui, à longueur d’année et même en temps « normal », se soucient de rendre la ville plus conviviale, mais nous y voilà : le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc, suggérait mercredi qu’on interdise l’auto solo dans le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine à l’heure de pointe. « Une solution difficile pour limiter les dégâts », disait-il.

Évidemment, puisque cela fait des années que “celles et ceux qui, à longueur d’année et même en temps « normal », se soucient de rendre la ville plus conviviale” font des pieds et des mains pour amener, lentement mais sûrement, la grande région de Montréal – et par extension tout le Québec – dans une situation intenable, du point de vue de la circulation routière, et ce en s’opposant à quelque projet routier que ce soit, et que l’on appellera, pour les fins de l’exercice, les “écolos”, ceux-ci se frottent les mains de voir le président de la CCMM proposer au ministère des transports du Québec (MTQ) d’interdire l’auto solo aux heures de pointe dans le tunnel. C’est le cas de le dire, il l’ont eu à l’usure.

Sur les ondes de LCN, Michel Leblanc soulignait que les autres solutions ne seraient pas suffisantes pour alléger la circulation dans le pont-tunnel durant les travaux. « La voiture solo n’a pas sa place sur le pont-tunnel en heure de pointe dans les prochaines semaines, mois », a-t-il déclaré sans détour, précisant tout de même qu’il ne serait pas question de bloquer le passage aux camions, qu’il juge « essentiels à la vie d’une métropole ».

Surtout, ne pas entraver la circulation des marchandises : on comprend bien le socle de valeurs sur lequel repose la proposition de Leblanc. Mais comme le messager fait souvent le message, surtout lorsqu’il se présente en complet et qu’il parle la langue de l’argent, la proposition a été accueillie avec une ouverture étonnante par le premier ministre, qui s’est dit ouvert à l’idée. Hier, après avoir visité le chantier, la nouvelle ministre des Transports, Geneviève Guilbault, a cependant fermé la porte à une telle mesure, évoquant la panoplie d’options existantes. Il ne faudrait surtout pas créer un dangereux précédent en faisant quelque chose d’aussi radical.

Madame Lanctôt oublie que si elle veut des marchandises dans ses magasins de proximité, celles-ci ne sont pas – encore – livrées par téléportation. Donc, qu’il faut que les camions circulent, dans le tunnel comme sur les autres liens routiers transfluviaux, et ce afin d’approvisionner les commerces, allant de l’alimentation aux produits de divertissement électroniques, et tout ce que vous pouvez imaginer entre les deux.

À l’entendre, on croirait que le droit de poireauter tout seul dans sa voiture fait partie d’un noyau de libertés fondamentales inaliénables, qu’il faut aborder avec beaucoup de déférence. Le président de la Chambre de commerce a au moins le mérite de transgresser ce tabou : si l’on s’inquiète de la fluidité de la circulation routière aux portes de la métropole, la voiture individuelle est le premier problème qu’il faut nommer. La multiplication des voies d’accès ne sera jamais suffisante ; le nerf de la guerre, c’est le volume qu’il faut faire passer chaque jour à travers le goulot de la bouteille.

Justement; puisque madame Lanctôt parle du goulot de la bouteille, je vais en profiter pour mentionner que malheureusement, toutes les traversées du fleuve furent conçues comme des goulots d’étranglement. Sur le pont Honoré-Mercier, vers Montréal, deux voies arrivent de la route 138, et deux de la 132, et doivent se réduire à deux voies sur le tablier du pont. En direction de Kahnawake, deux voies arrivent de l’autoroute 20 ouest, et deux de l’A-20 est. Donc un autre 4-dans-2. Sur le nouveau pont Samuel-de-Champlain, vers Montréal, trois voies de l’A-10, plus deux de l’A-15, pour un 5-dans-3, et vers Brossard, trois de l’A-15 sud, plus deux de l’A-10 (Bonaventure) et une de l’île-des-Soeurs, pour un 6-dans-3. Jacques-Cartier, vers Montréal, montre un 5-dans-3 à l’heure de pointe du matin, un 5-dans-2 le reste du temps, et un 4-dans-2 vers Longueuil, sauf à l’heure de pointe du soir, où c’est un 4-dans-3. Le tunnel, finalement, affiche un 7-dans-3 vers Boucherville, et un 5-dans-3 vers Montréal. Il n’y a que le pont Victoria, aux heures de pointe, qui montre un 2-dans-2 dans la direction ouverte, alors que c’est 2-dans-1 hors-pointe. Il est à noter que les deux voies de Victoria vont dans le même sens lors des heures de pointe; vers Montréal le matin, vers Saint-Lambert le soir. Bref, l’expression “goulot de la bouteille” est tout à fait appropriée. Mais pourquoi a-t-on construit les traversées comme ça?

On l’avoue du bout des lèvres maintenant qu’on s’apprête à plonger dans le chaos, mais ce n’est pas moins vrai le reste du temps. La panique entourant la fermeture partielle du pont-tunnel est une démonstration éclatante de l’échec des politiques d’aménagement du territoire qui étendent sans cesse les périphéries de la ville sans créer de nouveaux centres de gravité. Depuis les couronnes de la métropole, on parle de la congestion routière montréalaise avec dédain et frustration, sans jamais dire que c’est la dépendance à l’automobile et le modèle de la « vie-de-transit » qui rendent le quotidien insupportable.

Il faut mettre les choses au clair dès le départ; on aura beau établir toutes les politiques d’aménagement du territoire que l’on voudra, il y aura toujours des familles qui ne voudront pas vivre dans une tour à condos, ou dans un 4½ au troisième étage d’un bloc dans ce que l’on pourrait qualifier d’ancien quartier ouvrier. Et comme les maisons individuelles sont hors de prix sur l’île de Montréal, ces familles continueront de s’expatrier dans les couronnes, puis dans les campagnes, où les maisons sont plus abordables. De là le besoin de liens routiers fiables, en qualité et en quantité. Depuis des décennies, la population augmente davantage par l’immigration que par les naissances; à l’époque, les recensements pouvaient prédire, une vingtaine d’années d’avance, combien il faudra de voies de circulation, d’écoles, d’hôpitaux, etc., afin de satisfaire à la demande. Maintenant, comme la hausse de la population se fait par l’immigration, les besoins doivent être comblés de façon beaucoup plus immédiate; le type s’installe au pays, il a déjà une famille, et son logement sur l’île de Montréal est temporaire dès son arrivée, puisqu’il sait qu’à mesure que sa position professionnelle va se définir, il voudra, lui aussi, offrir du confort à sa famille. Tout porte à croire que les gouvernements ont lancé la serviette, là-dessus; les logements abordables se font rares, le réseau routier tombe en ruines, j’en passe, et des meilleures.

Révélateurs inattendus du caractère intenable de ce mode de vie, les signaleurs routiers prennent ces jours-ci la parole pour exprimer leurs craintes à l’approche du début des travaux dans le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine. Plus tôt au mois d’octobre, à Carignan, Marc Séguin, un signaleur routier de 58 ans, est mort happé par un véhicule aux abords d’un chantier. L’an dernier, 161 signaleurs ont été blessés dans un accident au travail, un nombre qui ne cesse d’augmenter depuis cinq ans. Et il s’agit seulement des accidents reconnus par la CNESST. Or, le mégachantier qui débute fait craindre le pire aux travailleurs, indique Jean-François Dionne, président de l’Association des travailleurs en signalisation routière du Québec (ATSRQ).

En écoutant les entrevues accordées un peu partout par M. Dionne, on reste bouche bée. Le président de l’ATSRQ parle d’agressivité constante, d’un mépris pour les limites de vitesse comme pour les travailleurs qui risquent leur vie en se tenant aux abords des chantiers (tout cela pour un salaire entre 18 $ et 23 $ de l’heure, notons). « Les automobilistes, c’est une arme que vous avez dans les mains ! » déclarait-il en entrevue à Radio-Canada. À l’émission de radio de Nathalie Normandeau, il disait estimer qu’environ la moitié des automobilistes ralentissent réellement à l’approche d’un chantier. La moitié. Il faut prendre la mesure de cette folie. Pas étonnant que, selon la SAAQ, en 2021, 836 personnes aient été blessées et 9 soient décédées dans une zone de travaux.

Les signaleurs routiers ont raison de s’inquiéter, alors qu’on s’apprête à faire l’expérience d’une singulière zizanie sur le réseau routier de la métropole : ces travailleurs sont aux premières loges de l’hostilité qui imprègne la culture de l’automobile. Une culture qui produit l’éloignement géographique, qui organise la vie à une échelle inhumaine et qui — j’en suis intimement convaincue — favorise les comportements antisociaux.

Premièrement, le nombre de signaleurs routiers augmente, puisque les chantiers se multiplient au Québec. Ensuite, même si chaque mort est une mort de trop, il faut souligner que l’on fournit aux signaleurs de nouveaux équipements, comme les barrières mobiles, qui permettent aux signaleurs de se tenir loin des véhicules en mouvement, plus souvent qu’autrement bien assis à l’intérieur de leur pick-up, qui supporte le nouvel équipement. Finalement, il faut aussi comprendre que l’agressivité des automobilistes vient aussi – quoique pas exclusivement – du fait des nombreux chantiers qui retardent la circulation, chantiers causés entre autres par le manque de développement flagrant du réseau routier, résultat du manque de fonds publics, mais aussi de l’opposition, surtout par les écolos, à tout nouveau développement majeur dans le réseau routier du grand Montréal.

Cette histoire illustre aussi l’équilibre précaire sur lequel repose le mode de vie basé sur le transit perpétuel. Et pourtant, rien n’indique que nous avançons dans la bonne direction. L’achalandage sur les routes, et sur les ponts entourant la métropole, est déjà plus intense qu’avant la pandémie et, en parallèle, la fréquentation des transports en commun n’est toujours pas revenue à son niveau prépandémique.

…et ce pour une raison bien simple; les transports en commun actuels ne valent pas le coup. Que ce soit une question de délais, une question de proximité des autres, ou toute autre question, le passage du transport en commun à l’auto, pendant la pandémie, a rappelé aux gens que le jeu n’en vaut pas la chandelle, surtout que dans sa voiture, personne ne peut vous refiler un virus, que ce soit une grippe, ou la COVID-19.

Sans un plan clair d’affranchissement de l’auto solo, le nécessaire changement de culture ne se fera pas tout seul, à travers la multiplication des « options » et des « mesures palliatives ». Il est peut-être temps de brandir le bâton.

Il n’est jamais temps de brandir le bâton. La vie en société comporte son lot d’obligations, auxquelles on se prête de façon plus ou moins sympathique, obligations qui entravent la liberté, autant collective qu’individuelle. Chacune de ces obligations représente des occasions, pour les autorités, de brandir le bâton, comme le dit madame Lanctôt. Si elle veut réduire l’agressivité des automobilistes, et de la population en général, je lui suggère fortement de trouver une autre méthode que de brandir le bâton.

Je crois surtout que cette histoire est la résultante directe d’un manque de planification de nos dirigeants politiques, et ce depuis des décennies. Personne ne parviendra à me convaincre que la population, tant à Montréal que sur la rive-sud, n’a fait que s’étendre sur le territoire depuis l’ouverture du dernier lien en date, soit… le pont-tunnel Lafontaine, en 1967. Depuis 55 ans, la population s’est multipliée, et ce des deux côtés du fleuve. Le nombre de liens routiers, quant à lui, n’a pas changé. Madame Lanctôt devra comprendre, tôt ou tard, que la circulation des personnes et des marchandises, à l’image de la grande majorité des activités humaines, est une question d’offre et de demande; lorsqu’il y a un déséquilibre flagrant entre les deux, rien ne va. Mais qui sait? Peut-être que la récession qui s’annonce viendra mettre un terme à l’actuelle pénurie de main-d’oeuvre, ce qui serait un mal pour un bien. Mais je m’éloigne.

Nous savons que les principales infrastructures routières du grand Montréal – dont le pont-tunnel – ont été construites dans les années 1960; nul besoin d’être diplômé universitaire pour savoir que tout allait devoir être rénové plus ou moins en même temps. Après l’échangeur Turcot, et le pont Champlain, il fallait s’attendre que le tunnel Lafontaine ait besoin de travaux majeurs. Et qu’est-ce que l’on a fait pour alléger la circulation dans le secteur? Rien. La commission Nicolet, en 2003, recommandait de construire de nombreux nouveaux liens entre les deux rives du fleuve Saint-Laurent, dont un pont reliant les autoroutes 30 et 640, à l’est de l’île de Montréal. Vingt ans plus tard, qu’est-ce qui a été accompli? Rien. Pourtant, on aurait bien besoin de ce pont aujourd’hui. Lors de la construction du pont Samuel-de-Champlain, on avait une opportunité formidable d’augmenter la capacité de ce lien, qui fut construit à trois voies par direction, et qui fut ouvert à la circulation en 1962. On l’a construit avec quelle capacité? Trois voies par direction. Comme en 1962. À cette époque, le pont Champlain, sur la rive-sud, se terminait sur des terres agricoles; 60 ans plus tard, il ne reste plus un seul hectare disponible à la culture.

Si l’on compare le lien entre Montréal et sa rive-sud avec le lien entre Montréal et Laval, on se rend compte que malgré une ligne de métro (la ligne orange et ses trois stations lavalloises), et un nouveau lien autoroutier (le pont Olivier-Charbonneau et l’autoroute 25), l’achalandage des ponts de Laval n’a pas diminué de façon significative au cours des dernières années. C’est dire à quel point les traversées actuelles étaient déjà surutilisées. Et globalement, le manque de développement du réseau routier n’arrange rien. Dans les années 1990, par exemple, on a reconstruit le tablier du pont Champlain. Une fois les travaux complétés, les politiciens se pétaient les bretelles, mentionnant que l’on ne retoucherait pas au tablier du pont avant 50 ans. Dans les faits, le tablier fut construit avec une capacité de 125,000 véhicules par jour, alors qu’il en passe plus de 300,000. Résultat des courses, le nouveau tablier n’avait pas 20 ans qu’il était déjà à reconstruire.

Le plan directeur, qui fut établi au milieu des années 1950, et qui visait une réalisation sur un horizon de 30 ou 40 ans, n’est pas encore complété presque 70 ans plus tard. Les sections déjà construites sont donc surutilisées, ce qui diminue leur durée de vie, et nécessite des travaux précoces, autant en réparations d’urgence qu’en réfections plus profondes. Certains corridors devant recevoir ces infrastructures ont été développés, ce qui empêche de compléter celles-ci, et fait perdurer les problèmes. Par ailleurs, on vante les bienfaits des véhicules électriques, qui ne produisent pas d’émissions polluantes. Mais tous ces véhicules ont le même défaut; ils ne volent pas. Ils ont tous besoin de routes. Bref, il faut rattraper le temps perdu, et cela va coûter très cher, autant en argent qu’en tergiversations de nos chers écolos. À condition que nos gouvernements aient le courage de s’attaquer aux problèmes, ce qui ne semble pas gagné d’avance.

Tunnel L.-H.-Lafontaine: Une autre preuve de l’expertise du MTQ

Le 4 août dernier, le ministère des transports du Québec (MTQ) annonçait que le plan des travaux de réfection, au tunnel L.-H.-Lafontaine (A-25), entre Montréal et Boucherville, allait changer du tout au tout, parce que les dommages à la voûte du tunnel, entre autres, étaient 60% plus importants que prévus.

Évidemment, il n’est pas toujours possible de réellement voir l’étendue des dommages à une structure, surtout si elle a été construite avant l’avènement des divers capteurs qui permettent, désormais, de suivre l’évolution d’une structure presque au jour le jour. Donc, lorsque le ministre, François Bonnardel, fait la comparaison avec la rénovation d’une vieille maison, l’image est bien choisie. Par contre, la planification des diverses réfections des infrastructures de transport, dans une région comme le grand Montréal, devrait être beaucoup plus facile à calculer.

Je veux dire, quand on a 12 voies de circulation pour traverser une voie d’eau, comme le fleuve Saint-Laurent, dont 11 disponibles aux camions lourds, et que les heures de pointe sont un véritable enfer presque à chaque jour, on commence par ajouter le plus de voies possibles avant de fermer une infrastructure pour la rénover. Il est clair que ces 12 voies sont insuffisantes, entre Montréal et la rive-sud, pour assurer une circulation fluide, et ce en temps normal; imaginez maintenant devoir compter sur seulement 9 d’entre-elles, dont 8 utilisables pour le camionnage.

Remarquez bien que même si l’annonce fut faite la semaine dernière, les changements à la circulation comme tels (une voie vers la rive-sud, deux vers Montréal) débuteront après les prochaines élections générales provinciales. Pas que la Coalition avenir Québec (CAQ) ait peur de perdre ses élections sur un tel enjeu, loin s’en faut. C’est plutôt que les vraies complications auront beaucoup moins de chances de s’inviter dans la prochaine campagne électorale.

Pour revenir sur la planification des travaux, il est clair que le MTQ a dormi aux gaz. Le tunnel Lafontaine fut le dernier ouvrage à être ouvert à la circulation entre Montréal et la rive-sud, en 1967, soit il y a 55 ans. C’est évident que les besoins en circulation ont beaucoup changé depuis ce temps. Par contre, cela fait maintenant 55 ans que l’on doit se contenter de 12 voies au total pour traverser le fleuve, et ce même si la demande en transport s’est multipliée pendant toutes ces années. Et le MTQ croit que les 9 voies restantes seront suffisantes pour les trois prochaines années. Yeah, right! Les dirigeants du ministère devraient “arrêter de prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages”, comme disait Jean-Luc Mongrain à une autre époque.

D’un autre côté, on constate que les fédéraux, propriétaires du pont Samuel-de-Champlain, n’ont pas été beaucoup plus brillants. Le vieux pont Champlain, qui fut ouvert à la circulation en 1962, avait trois voies de circulation par direction, à une époque où les habitants de Brossard étaient encore presque tous des cultivateurs, ce qui est loin d’être le cas maintenant. Et on a mis combien de voies de circulation sur le nouveau pont? Eh oui, trois voies par direction. Yeah, right! Comme je l’ai déjà dit dans le passé, ce n’est pas parce que l’on installe une conduite d’eau plus petite que les gens, à l’autre bout, auront nécessairement moins soif. C’est la même chose pour la circulation; si l’on construit des infrastructures ayant moins de capacités, les usagers de la route ne resteront pas chez eux pour autant. Les bouchons seront juste plus longs, et dureront plus longtemps.

Pour pallier aux problèmes de circulation pendant les travaux au tunnel Lafontaine, il est déjà trop tard. Par contre, il est temps de réfléchir, mais surtout d’agir, afin que dans quelques années, lorsque une autre structure aura besoin de travaux majeurs, de nouvelles voies de circulation seront aménagées pour venir en aide aux structures actuelles qui, avouons-le, sont déjà surchargées.