3e lien Québec-Lévis: C’est le job du MTQ de réévaluer les projets aux cinq ans, non?

Dans un article du 9 juin dernier, sur le site web du Journal de Montréal, signé Patrick Bellerose, on mentionnait que le premier ministre du Québec, François Legault, lors de son point de presse de fin de session, a dit que la décision concernant le 3e lien Québec-Lévis sera révisée à tous les cinq ans. Il souhaitait probablement rétablir le lien de confiance entre son gouvernement et certains électeurs de la rive-sud de Québec, qui furent visiblement outrés par la décision de mettre fin à ce projet.

Il me semble que c’est supposé être le job du ministère des transports (MTQ) de planifier l’agenda des projets à réaliser; déterminer quel projet doit être amorcé en premier, en fonction entre autres de la demande en circulation véhiculaire, élaborer de nouveaux projets, modifier ceux qui sont déjà dans les cartons, j’en passe, et des meilleurs. Évidemment, les politiciens viennent un peu jouer les trouble-fêtes là-dedans, mais bon.

Le MTQ, depuis déjà longtemps, est un monstre qui s’auto-nourrit auprès des politiciens, et n’en fait qu’à sa tête. Je ne me souviens pas d’un ministre qui ait réussi à réformer le MTQ dans son entièreté; le seul qui a tenté de le faire, l’ancien policier Robert Poëti, a été backbenché par son chef, Philippe Couillard. N’allez pas croire que l’actuelle ministre des transports, Geneviève Guilbault, va faire quelque modification que ce soit; son prédécesseur, François Bonnardel, a profité de la dernière élection pour sortir de ce ministère qui l’épuisait.

Le truc, c’est que le gouvernement de François Legault fut un très mauvais vendeur pour ce projet de 3e lien; avec une simple règle de 3, le gouvernement aurait pu prouver que le tunnel le plus cher (celui devant être creusé avec le plus grand tunnelier au monde), en prenant son évaluation la plus élevée, à 10 milliards de dollars, revenait moins cher au kilomètre que le pont Samuel-de-Champlain, qui fut ouvert par le fédéral, entre Montréal et Brossard il y a quelques années à peine.

Vous savez ce que l’on dit, à propos d’un pont, et c’est pareil pour un tunnel; avant de le construire, personne n’en veut, mais une fois construit, tout le monde le prend. Cela me fait penser à la théorie de la circulation induite; c’est clair à qui veut se donner la peine de comprendre que lorsqu’il y a plus de gens entre deux points, il y aura plus de gens qui voudront transiter entre ceux-ci. La question est de savoir si, dans le cas qui nous concerne ici, les gens se sont installés sur la rive-sud avant, ou après la construction du nouveau lien. Comme la migration vers la rive-sud des gens de Québec qui veulent acquérir une propriété est commencée depuis déjà longtemps, il devient facile de conclure que le nouveau lien, peu importe la forme qu’il prendra, viendra combler une partie de la demande qui n’est actuellement pas desservie.

À voir l’état des routes sous la responsabilité du MTQ depuis des décennies, tout porte à croire que les milliards $ investis dans ce ministère se dispersent comme de l’eau dans le réseau d’aqueduc de Montréal. Je dis souvent, à la blague, que l’asphalte utilisé dans les projets de construction, et d’entretien, du MTQ, est biodégradable; quand on constate la situation sous les ponts d’étagement, là où les rayons du soleil mettent plus de temps à assécher les routes après la pluie, je commence à croire que dans mon humour, il y a un brin de vérité.

Tout cela pour dire qu’en ce qui concerne le réseau routier sous la gouverne du MTQ, les québécois n’en ont pas pour leur argent. Et que lorsque Legault mentionne que l’on révisera aux cinq ans la décision d’aller de l’avant avec le 3e lien, il ne fait que réveiller les bonzes du MTQ, et les invite à faire leur job.

3e lien: C’est encore le camionnage qui va écoper

La nouvelle de l’abandon du projet de 3e lien Québec-Lévis a soulevé toutes sortes de réactions; soulagement pour les uns, trahison pour les autres. À mes yeux, tout projet routier qui est annulé représente un autre retard à combler par l’offre pour satisfaire la demande, toujours grandissante.

Bon, toujours grandissante, c’est vide dit; la pandémie de COVID-19 a offert un répit de quelques années, ce qui a ralenti la progression de la courbe de la demande en capacité du réseau.

Au lieu de prétexter ce ralentissement pour laisser tomber le projet, le gouvernement aurait dû en profiter pour élargir les diverses études, autant sur la forme du 3e lien (pont ou tunnel) que sur ses coûts. Mais à la place, on a tout simplement noyé le poisson. Le premier ministre, François Legault, était juste trop content de se débarrasser de ce boulet.

À travers tous les arguments avancés par les opposants à ce grand projet, la facture salée revenait très souvent. Pourtant, quand on regarde les estimations de coût du 3e lien, celui-ci se comparait avantageusement au coût du dernier grand projet routier québécois, soit le pont Samuel-de Champlain, qui a coûté 4,24 milliards de dollars pour une longueur totale de 3,4 kilomètres.

J’ai fait un petit calcul – une simple règle de 3, et l’on arrive à 1,247,058.82$ par mètre. Si l’on fait le même calcul pour la version la plus onéreuse du projet, soit le gros tunnel unique de 8,3 kilomètres, au coût de 10 milliards$, on se retrouve avec un coût de 1,204,819.28$ par mètre. Le 3e lien aurait donc été plus économique que le pont Samuel-de Champlain, à hauteur de 42,239,54$ par mètre.

Mais bon, nos gouvernements ne savent pas compter les véhicules par jour qui passent sur un pont; comment peut-on se fier sur eux pour calculer les coûts d’un projet routier?

Trêve de plaisanteries, le problème que cela nous montre, c’est que le gouvernement Legault n’a aucune idée de solution face au vieillissement des deux ponts de la vieille capitale. Ceux-ci demanderont d’énormes investissements juste pour être maintenus avec leur capacité actuelle.

Or, comme il faut maintenant pas moins de dix ans pour construire une traversée du fleuve de l’importance du 3e lien, la population du grand Québec peut se compter chanceuse d’avoir pu profiter du répit de la pandémie, et des conséquences de celui-ci. Elle peut se compter chanceuse aussi de pouvoir trouver une solution pendant que le problème de la circulation entre les deux rives du fleuve est encore gérable.

La population du grand Montréal aurait bien aimé profiter d’une telle chance; avec les travaux actuels au tunnel Louis-Hippolyte-Lafontaine, le pont entre Repentigny et Varennes, inclus dans les conclusions du rapport Nicolet, déposé il y a 20 ans, serait bien utile aujourd’hui.

Mais une fois encore, le grand perdant de toute cette affaire sera l’industrie du camionnage; si les bouchons de circulation privent la grande région de Montréal du quelques milliards de dollars par année, n’allons pas nous imaginer que le grand Québec n’accuse aucune perte, même si la congestion est moindre.

Et comme la téléportation n’est pas pour demain, il faudra composer encore longtemps avec les camions; autant s’organiser pour que ceux-ci puissent circuler le plus fluidement possible. Parce que les citoyens veulent des magasins de quartier bien garnis, il faut s’assurer de leur approvisionnement.

Bref, le gouvernement actuel s’est mis un doigt dans l’oeil en mettant fin au projet de 3e lien Québec-Lévis.

Tunnel L.-H.-Lafontaine: Retour sur “Le goulot de la bouteille”

Ceux et celles qui me suivent le savent; j’aime bien prendre un texte d’opinion, et y répondre coup sur coup, à travers les paragraphes de celui-ci. J’ai choisi, cette fois, le texte d’Aurélie Lanctôt, chroniqueuse du journal Le Devoir, texte intitulé “Le goulot de la bouteille”, et qui parle de l’affaire des travaux majeurs du tunnel L.-H.-Lafontaine, et de la proposition du président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), Michel Leblanc. Comme je le fais normalement, je mettrai le texte intégral de madame Lanctôt en couleur, disons en bleu, cette fois-ci, et j’y répondrai avec le noir habituel. Allons-y.

Le goulot de la bouteille

Aurélie Lanctôt, Le Devoir, 28 octobre 2022.

Le message a été accueilli avec un sourire en coin par celles et ceux qui, à longueur d’année et même en temps « normal », se soucient de rendre la ville plus conviviale, mais nous y voilà : le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc, suggérait mercredi qu’on interdise l’auto solo dans le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine à l’heure de pointe. « Une solution difficile pour limiter les dégâts », disait-il.

Évidemment, puisque cela fait des années que “celles et ceux qui, à longueur d’année et même en temps « normal », se soucient de rendre la ville plus conviviale” font des pieds et des mains pour amener, lentement mais sûrement, la grande région de Montréal – et par extension tout le Québec – dans une situation intenable, du point de vue de la circulation routière, et ce en s’opposant à quelque projet routier que ce soit, et que l’on appellera, pour les fins de l’exercice, les “écolos”, ceux-ci se frottent les mains de voir le président de la CCMM proposer au ministère des transports du Québec (MTQ) d’interdire l’auto solo aux heures de pointe dans le tunnel. C’est le cas de le dire, il l’ont eu à l’usure.

Sur les ondes de LCN, Michel Leblanc soulignait que les autres solutions ne seraient pas suffisantes pour alléger la circulation dans le pont-tunnel durant les travaux. « La voiture solo n’a pas sa place sur le pont-tunnel en heure de pointe dans les prochaines semaines, mois », a-t-il déclaré sans détour, précisant tout de même qu’il ne serait pas question de bloquer le passage aux camions, qu’il juge « essentiels à la vie d’une métropole ».

Surtout, ne pas entraver la circulation des marchandises : on comprend bien le socle de valeurs sur lequel repose la proposition de Leblanc. Mais comme le messager fait souvent le message, surtout lorsqu’il se présente en complet et qu’il parle la langue de l’argent, la proposition a été accueillie avec une ouverture étonnante par le premier ministre, qui s’est dit ouvert à l’idée. Hier, après avoir visité le chantier, la nouvelle ministre des Transports, Geneviève Guilbault, a cependant fermé la porte à une telle mesure, évoquant la panoplie d’options existantes. Il ne faudrait surtout pas créer un dangereux précédent en faisant quelque chose d’aussi radical.

Madame Lanctôt oublie que si elle veut des marchandises dans ses magasins de proximité, celles-ci ne sont pas – encore – livrées par téléportation. Donc, qu’il faut que les camions circulent, dans le tunnel comme sur les autres liens routiers transfluviaux, et ce afin d’approvisionner les commerces, allant de l’alimentation aux produits de divertissement électroniques, et tout ce que vous pouvez imaginer entre les deux.

À l’entendre, on croirait que le droit de poireauter tout seul dans sa voiture fait partie d’un noyau de libertés fondamentales inaliénables, qu’il faut aborder avec beaucoup de déférence. Le président de la Chambre de commerce a au moins le mérite de transgresser ce tabou : si l’on s’inquiète de la fluidité de la circulation routière aux portes de la métropole, la voiture individuelle est le premier problème qu’il faut nommer. La multiplication des voies d’accès ne sera jamais suffisante ; le nerf de la guerre, c’est le volume qu’il faut faire passer chaque jour à travers le goulot de la bouteille.

Justement; puisque madame Lanctôt parle du goulot de la bouteille, je vais en profiter pour mentionner que malheureusement, toutes les traversées du fleuve furent conçues comme des goulots d’étranglement. Sur le pont Honoré-Mercier, vers Montréal, deux voies arrivent de la route 138, et deux de la 132, et doivent se réduire à deux voies sur le tablier du pont. En direction de Kahnawake, deux voies arrivent de l’autoroute 20 ouest, et deux de l’A-20 est. Donc un autre 4-dans-2. Sur le nouveau pont Samuel-de-Champlain, vers Montréal, trois voies de l’A-10, plus deux de l’A-15, pour un 5-dans-3, et vers Brossard, trois de l’A-15 sud, plus deux de l’A-10 (Bonaventure) et une de l’île-des-Soeurs, pour un 6-dans-3. Jacques-Cartier, vers Montréal, montre un 5-dans-3 à l’heure de pointe du matin, un 5-dans-2 le reste du temps, et un 4-dans-2 vers Longueuil, sauf à l’heure de pointe du soir, où c’est un 4-dans-3. Le tunnel, finalement, affiche un 7-dans-3 vers Boucherville, et un 5-dans-3 vers Montréal. Il n’y a que le pont Victoria, aux heures de pointe, qui montre un 2-dans-2 dans la direction ouverte, alors que c’est 2-dans-1 hors-pointe. Il est à noter que les deux voies de Victoria vont dans le même sens lors des heures de pointe; vers Montréal le matin, vers Saint-Lambert le soir. Bref, l’expression “goulot de la bouteille” est tout à fait appropriée. Mais pourquoi a-t-on construit les traversées comme ça?

On l’avoue du bout des lèvres maintenant qu’on s’apprête à plonger dans le chaos, mais ce n’est pas moins vrai le reste du temps. La panique entourant la fermeture partielle du pont-tunnel est une démonstration éclatante de l’échec des politiques d’aménagement du territoire qui étendent sans cesse les périphéries de la ville sans créer de nouveaux centres de gravité. Depuis les couronnes de la métropole, on parle de la congestion routière montréalaise avec dédain et frustration, sans jamais dire que c’est la dépendance à l’automobile et le modèle de la « vie-de-transit » qui rendent le quotidien insupportable.

Il faut mettre les choses au clair dès le départ; on aura beau établir toutes les politiques d’aménagement du territoire que l’on voudra, il y aura toujours des familles qui ne voudront pas vivre dans une tour à condos, ou dans un 4½ au troisième étage d’un bloc dans ce que l’on pourrait qualifier d’ancien quartier ouvrier. Et comme les maisons individuelles sont hors de prix sur l’île de Montréal, ces familles continueront de s’expatrier dans les couronnes, puis dans les campagnes, où les maisons sont plus abordables. De là le besoin de liens routiers fiables, en qualité et en quantité. Depuis des décennies, la population augmente davantage par l’immigration que par les naissances; à l’époque, les recensements pouvaient prédire, une vingtaine d’années d’avance, combien il faudra de voies de circulation, d’écoles, d’hôpitaux, etc., afin de satisfaire à la demande. Maintenant, comme la hausse de la population se fait par l’immigration, les besoins doivent être comblés de façon beaucoup plus immédiate; le type s’installe au pays, il a déjà une famille, et son logement sur l’île de Montréal est temporaire dès son arrivée, puisqu’il sait qu’à mesure que sa position professionnelle va se définir, il voudra, lui aussi, offrir du confort à sa famille. Tout porte à croire que les gouvernements ont lancé la serviette, là-dessus; les logements abordables se font rares, le réseau routier tombe en ruines, j’en passe, et des meilleures.

Révélateurs inattendus du caractère intenable de ce mode de vie, les signaleurs routiers prennent ces jours-ci la parole pour exprimer leurs craintes à l’approche du début des travaux dans le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine. Plus tôt au mois d’octobre, à Carignan, Marc Séguin, un signaleur routier de 58 ans, est mort happé par un véhicule aux abords d’un chantier. L’an dernier, 161 signaleurs ont été blessés dans un accident au travail, un nombre qui ne cesse d’augmenter depuis cinq ans. Et il s’agit seulement des accidents reconnus par la CNESST. Or, le mégachantier qui débute fait craindre le pire aux travailleurs, indique Jean-François Dionne, président de l’Association des travailleurs en signalisation routière du Québec (ATSRQ).

En écoutant les entrevues accordées un peu partout par M. Dionne, on reste bouche bée. Le président de l’ATSRQ parle d’agressivité constante, d’un mépris pour les limites de vitesse comme pour les travailleurs qui risquent leur vie en se tenant aux abords des chantiers (tout cela pour un salaire entre 18 $ et 23 $ de l’heure, notons). « Les automobilistes, c’est une arme que vous avez dans les mains ! » déclarait-il en entrevue à Radio-Canada. À l’émission de radio de Nathalie Normandeau, il disait estimer qu’environ la moitié des automobilistes ralentissent réellement à l’approche d’un chantier. La moitié. Il faut prendre la mesure de cette folie. Pas étonnant que, selon la SAAQ, en 2021, 836 personnes aient été blessées et 9 soient décédées dans une zone de travaux.

Les signaleurs routiers ont raison de s’inquiéter, alors qu’on s’apprête à faire l’expérience d’une singulière zizanie sur le réseau routier de la métropole : ces travailleurs sont aux premières loges de l’hostilité qui imprègne la culture de l’automobile. Une culture qui produit l’éloignement géographique, qui organise la vie à une échelle inhumaine et qui — j’en suis intimement convaincue — favorise les comportements antisociaux.

Premièrement, le nombre de signaleurs routiers augmente, puisque les chantiers se multiplient au Québec. Ensuite, même si chaque mort est une mort de trop, il faut souligner que l’on fournit aux signaleurs de nouveaux équipements, comme les barrières mobiles, qui permettent aux signaleurs de se tenir loin des véhicules en mouvement, plus souvent qu’autrement bien assis à l’intérieur de leur pick-up, qui supporte le nouvel équipement. Finalement, il faut aussi comprendre que l’agressivité des automobilistes vient aussi – quoique pas exclusivement – du fait des nombreux chantiers qui retardent la circulation, chantiers causés entre autres par le manque de développement flagrant du réseau routier, résultat du manque de fonds publics, mais aussi de l’opposition, surtout par les écolos, à tout nouveau développement majeur dans le réseau routier du grand Montréal.

Cette histoire illustre aussi l’équilibre précaire sur lequel repose le mode de vie basé sur le transit perpétuel. Et pourtant, rien n’indique que nous avançons dans la bonne direction. L’achalandage sur les routes, et sur les ponts entourant la métropole, est déjà plus intense qu’avant la pandémie et, en parallèle, la fréquentation des transports en commun n’est toujours pas revenue à son niveau prépandémique.

…et ce pour une raison bien simple; les transports en commun actuels ne valent pas le coup. Que ce soit une question de délais, une question de proximité des autres, ou toute autre question, le passage du transport en commun à l’auto, pendant la pandémie, a rappelé aux gens que le jeu n’en vaut pas la chandelle, surtout que dans sa voiture, personne ne peut vous refiler un virus, que ce soit une grippe, ou la COVID-19.

Sans un plan clair d’affranchissement de l’auto solo, le nécessaire changement de culture ne se fera pas tout seul, à travers la multiplication des « options » et des « mesures palliatives ». Il est peut-être temps de brandir le bâton.

Il n’est jamais temps de brandir le bâton. La vie en société comporte son lot d’obligations, auxquelles on se prête de façon plus ou moins sympathique, obligations qui entravent la liberté, autant collective qu’individuelle. Chacune de ces obligations représente des occasions, pour les autorités, de brandir le bâton, comme le dit madame Lanctôt. Si elle veut réduire l’agressivité des automobilistes, et de la population en général, je lui suggère fortement de trouver une autre méthode que de brandir le bâton.

Je crois surtout que cette histoire est la résultante directe d’un manque de planification de nos dirigeants politiques, et ce depuis des décennies. Personne ne parviendra à me convaincre que la population, tant à Montréal que sur la rive-sud, n’a fait que s’étendre sur le territoire depuis l’ouverture du dernier lien en date, soit… le pont-tunnel Lafontaine, en 1967. Depuis 55 ans, la population s’est multipliée, et ce des deux côtés du fleuve. Le nombre de liens routiers, quant à lui, n’a pas changé. Madame Lanctôt devra comprendre, tôt ou tard, que la circulation des personnes et des marchandises, à l’image de la grande majorité des activités humaines, est une question d’offre et de demande; lorsqu’il y a un déséquilibre flagrant entre les deux, rien ne va. Mais qui sait? Peut-être que la récession qui s’annonce viendra mettre un terme à l’actuelle pénurie de main-d’oeuvre, ce qui serait un mal pour un bien. Mais je m’éloigne.

Nous savons que les principales infrastructures routières du grand Montréal – dont le pont-tunnel – ont été construites dans les années 1960; nul besoin d’être diplômé universitaire pour savoir que tout allait devoir être rénové plus ou moins en même temps. Après l’échangeur Turcot, et le pont Champlain, il fallait s’attendre que le tunnel Lafontaine ait besoin de travaux majeurs. Et qu’est-ce que l’on a fait pour alléger la circulation dans le secteur? Rien. La commission Nicolet, en 2003, recommandait de construire de nombreux nouveaux liens entre les deux rives du fleuve Saint-Laurent, dont un pont reliant les autoroutes 30 et 640, à l’est de l’île de Montréal. Vingt ans plus tard, qu’est-ce qui a été accompli? Rien. Pourtant, on aurait bien besoin de ce pont aujourd’hui. Lors de la construction du pont Samuel-de-Champlain, on avait une opportunité formidable d’augmenter la capacité de ce lien, qui fut construit à trois voies par direction, et qui fut ouvert à la circulation en 1962. On l’a construit avec quelle capacité? Trois voies par direction. Comme en 1962. À cette époque, le pont Champlain, sur la rive-sud, se terminait sur des terres agricoles; 60 ans plus tard, il ne reste plus un seul hectare disponible à la culture.

Si l’on compare le lien entre Montréal et sa rive-sud avec le lien entre Montréal et Laval, on se rend compte que malgré une ligne de métro (la ligne orange et ses trois stations lavalloises), et un nouveau lien autoroutier (le pont Olivier-Charbonneau et l’autoroute 25), l’achalandage des ponts de Laval n’a pas diminué de façon significative au cours des dernières années. C’est dire à quel point les traversées actuelles étaient déjà surutilisées. Et globalement, le manque de développement du réseau routier n’arrange rien. Dans les années 1990, par exemple, on a reconstruit le tablier du pont Champlain. Une fois les travaux complétés, les politiciens se pétaient les bretelles, mentionnant que l’on ne retoucherait pas au tablier du pont avant 50 ans. Dans les faits, le tablier fut construit avec une capacité de 125,000 véhicules par jour, alors qu’il en passe plus de 300,000. Résultat des courses, le nouveau tablier n’avait pas 20 ans qu’il était déjà à reconstruire.

Le plan directeur, qui fut établi au milieu des années 1950, et qui visait une réalisation sur un horizon de 30 ou 40 ans, n’est pas encore complété presque 70 ans plus tard. Les sections déjà construites sont donc surutilisées, ce qui diminue leur durée de vie, et nécessite des travaux précoces, autant en réparations d’urgence qu’en réfections plus profondes. Certains corridors devant recevoir ces infrastructures ont été développés, ce qui empêche de compléter celles-ci, et fait perdurer les problèmes. Par ailleurs, on vante les bienfaits des véhicules électriques, qui ne produisent pas d’émissions polluantes. Mais tous ces véhicules ont le même défaut; ils ne volent pas. Ils ont tous besoin de routes. Bref, il faut rattraper le temps perdu, et cela va coûter très cher, autant en argent qu’en tergiversations de nos chers écolos. À condition que nos gouvernements aient le courage de s’attaquer aux problèmes, ce qui ne semble pas gagné d’avance.

La théorie de la “circulation induite”; rien d’autre qu’une théorie

On l’a vu à maintes reprises, dernièrement; dès qu’il est question d’un projet routier, les environnementalistes nous sortent continuellement la théorie de la “circulation induite”, selon laquelle l’ajout d’une nouvelle voie de circulation attirera de nouveaux usagers qui, à terme, ramèneront la situation à la case départ, à savoir des bouchons de circulation.

Évidemment, ces chers amis environnementalistes ne précisent pas que les gens se retrouvent dans les banlieues non pas à cause de l’ajout d’un nouveau pont, ou d’une nouvelle autoroute, mais plutôt à cause du prix des propriétés dans la ville-centre qui, au fil des ans, est carrément devenu inabordable. Ainsi, quiconque voudra quitter le statut de locataire devra s’expatrier, souvent à des dizaines de kilomètres de son lieu de travail.

Il faudrait expliquer que la théorie de la circulation induite ne s’applique pas qu’à la circulation; elle s’applique à tout.

On se souvient tous du prolongement de la ligne orange, du métro de Montréal, vers Laval; quelle excellente idée cela devait être, pour les gens de Laval, qui allaient enfin pouvoir se diriger au travail sans leur voiture. Ce fut effectivement excellent pour eux, mais beaucoup moins pour les gens de Montréal-Nord qui, du quai de leurs stations, regardent désormais passer des rames de métro remplies à capacité.

Imaginons que le réseau de la santé, lui aussi rempli à capacité, soit dans l’obligation de construire un nouvel hôpital. Verra-t-on nos amis écolo s’insurger contre la nouvelle construction? Bien sûr que non; ils diront que l’ajout d’un nouveau centre hospitalier viendra prêter main forte au réseau qui est au bord de l’éclatement. Pourtant, le nouvel établissement recevra des patients qui, à terme, le rempliront lui aussi, remettant le réseau dans la même situation qu’avant.

Tout cela pour démontrer que la théorie de la circulation induite, si chère aux environnementalistes, n’est rien de plus… qu’une théorie. Dans les faits, autant le réseau de la santé que le réseau routier sont régis par des lois naturelles, soit celles de l’offre et de la demande. Or, dans l’un ou l’autre des deux réseaux, l’offre n’a jamais suivi la demande, ce qui fait que celle-ci est toujours plus forte que l’offre. Les gouvernements, qui sont responsables de l’offre, invoquent toutes sortes de raisons pour se justifier, mais au final, on se retrouve, encore une fois, avec la théorie de Bastiat, “Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas”.

3e lien Québec-Lévis: Vous oubliez un détail ou deux, madame Hachey!

Je viens de lire une chronique d’Isabelle Hachey, sur le site web de La Presse, intitulé “L’éléphant dans la pièce”.  Quoique bien instructif, particulièrement au sujet de la Katy Freeway (Interstate-10), un monstre de 26 voies qui traverse Houston, au Texas, ce texte de madame Hachey ne prouve rien en ce qui concerne le 3e lien Québec-Lévis, dont la dernière annonce du ministre des Transports du Québec, François Bonnardel, nous permet désormais de savoir qu’il prendra la forme d’un tunnel.

Il ne prouve rien parce que l’augmentation du nombre de véhicules aurait sans doute lieu, qu’il y ait nouveau lien ou pas. Le problème, c’est que nos bons gouvernements ne planifient pas le nombre de voies disponibles sur le réseau routier en fonction de la potentielle augmentation du volume de la circulation, mais plutôt en fonction des belles annonces qui, espèrent-ils, se traduiront par des votes en leur faveur dans les urnes, aux prochaines élections. À preuve, le pont Samuel-de-Champlain, inauguré en grandes pompes cette semaine; malgré sa “bénédiction” par un chef Mohawk, il n’améliorera pas la circulation entre Montréal et sa rive-sud. Pourquoi? Parce qu’à l’instar de l’ancien pont Champlain, inauguré en 1962, et qui sera définitivement condamné ce lundi, le nouveau pont fut construit avec trois voies par direction, alors qu’il en aurait fallu au moins cinq.  Parce que la population, entre autres, a définitivement augmenté, des deux côtés du fleuve, depuis 57 ans.

Même le gouvernement actuel, dont le parti en est à sa première expérience au pouvoir, s’est fait prendre à ce même petit jeu, en promettant un tunnel au lieu d’un pont, ainsi qu’une autre infrastructure, un pont à haubans, pour rejoindre l’île d’Orléans, en remplacement du vieux pont suspendu.  Juste ça, c’est au moins un demi-milliard de dollars jeté par-dessus bord! Il aurait été mieux de construire un seul pont pour relier l’île, y mettre un échangeur, et poursuivre vers la rive-sud, quitte à y aller en tunnel, quoique j’aurais préféré un autre pont, question de permettre une deuxième option pour le transport des matières dangereuses.

Et ça, c’est l’autre détail oublié par madame Hachey; le camionnage.

À Montréal, il se perd quelque chose comme deux milliards – peut-être même davantage –  par année, à travers l’économie, juste dans les bouchons de circulation, via les retards qu’ils provoquent. Le 3e lien Québec-Lévis sert principalement à éloigner le jour où la grande région de Québec deviendra aussi congestionnée que celle de Montréal, parce que l’économie verte a beau promouvoir les commerces de proximité, il n’en demeure pas moins que ceux-ci ne reçoivent toujours pas leurs marchandises par téléportation! Et ce n’est pas demain la veille du jour où cela va se produire. L’économie a besoin de routes. De plus, prenez les voitures électriques, si prisées par nos amis verdoyants; elles devront toujours bien rouler quelque part!  Bref, il faudra toujours des routes. Et comme la population augmente, la demande de routes aussi.

Ce n’est pas tout le monde qui veut – ou qui peut – se payer un appartement, ou un condo, dans la vieille capitale; je lisais dernièrement qu’un terrain, à Québec, pour une construction résidentielle, pouvait se détailler jusqu’à 175,000$, ce qui est carrément inabordable pour les familles de la classe moyenne. Un tel coût poussera définitivement ceux-ci vers les banlieues, que ce soit Donnacona, ou Beaumont, où le prix des terrains résidentiels se situe plutôt dans les 60,000 à 75,000$; l’économie représente presque tout le coût de la maison! Or, en bagnole, sans trafic, Google Maps donne un trajet qui se réalise, dans les deux cas, en 36 minutes. Quand on clique sur l’icône des transports en commun, encore une fois dans les deux cas, il n’y a rien! Niet! Comme dans “zéro, pis une barre”! Google indique:

“Désolé, nous n’avons pas pu calculer l’itinéraire en transports en commun entre « Québec » et « Donnacona » .”

Idem pour Beaumont, by the way!

Peut-être existe-t-il du transport en commun, entre ces villes et Québec, mais Google Maps, manifestement, n’est pas au courant.  De toute façon, s’il y avait eu une véritable demande de transport en commun entre les deux rives du fleuve, le vénérable pont de Québec aurait très bien pu servir de voie privilégiée pour établir des lignes de train de banlieue.

Autrement dit, qu’on ne vienne pas essayer de me faire brailler avec le concept de “circulation induite”; c’est un concept aussi vague que celui des “retombées économiques”, et ce même si la très grande majorité des festivals, à travers la belle province, dit baser son existence sur cette théorie.  Isabelle Hachey a beau amener trois métaphores pour tenter d’expliquer l’inutilité du 3e lien Québec-Lévis, elle ne me convainc pas du tout.  Au contraire, je lui répondrai par une seule; ce n’est pas parce que l’on rapetisse la conduite d’eau que les gens, au bout de celle-ci, auront moins soif.